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bien instruit par son modele, il a grand soin de s’emparer de tout. Mais quand le moucheron terrasse le lion, c’est une autre affaire ; alors l’enfant n’est plus lion, il est moucheron. Il apprend à tuer un jour à coups d’aiguillon ceux qu’il n’oseroit attaquer de pied ferme.

Dans la fable du loup maigre & du chien gras, au lieu d’une leçon de modération qu’on retend lui donner, il en prend une de licence. Je n’oublierai jamais d’avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu’on avoit désolée avec cette fable, tout en lui prêchant toujours la docilité. On eut peine à savoir la cause de ses pleurs, on la sçut enfin. La pauvre enfant s’ennuyoit d’être à la chaîne : elle se sentoit le cou pelé ; elle pleuroit de n’être pas loup.

Ainsi donc la morale de la premiere fable citée est pour l’enfant une leçon de la plus basse flatterie ; celle de la seconde une leçon d’inhumanité ; celle de la troisieme une leçon d’injustice ; celle de la quatrieme, une leçon de satyre ; celle de la cinquieme une leçon d’indépendance. Cette derniere leçon, pour être superflue à mon Eleve, n’en est pas plus convenable aux vôtres. Quand vous leur donnez des préceptes qui se contredisent, quel fruit espérez-vous de vos soins ? Mais peut-être, à cela près, toute cette morale qui me sert d’objection contre les fables, fournit-elle autant de raisons de les conserver. Il faut une morale en paroles & une en actions dans la société, & ces deux morales ne se ressemblent point. La premiere est dans le Catéchisme, où on la laisse ; l’autre est dans les fables de La Fontaine pour les enfants, & dans ses