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émile n’apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables, pas même celles de la Fontaine, toutes naÏves, toutes charmantes qu’elles sont ; car les mots des fables ne sont pas plus les fables que les mots de l’histoire ne sont l’histoire. Comment peut-on s’aveugler assez pour appeler les fables la morale des enfants, sans songer que l’apologue, en les amusant, les abuse ; que, séduits par le mensonge, ils laissent échapper la vérité, & que ce qu’on fait pour leur rendre l’instruction agréable les empêche d’en profiter ? Les fables peuvent instruire les hommes ; mais il faut dire la vérité nue aux enfans : sitôt qu’on la couvre d’un voile, ils ne se donnent plus la peine de le lever.

On fait apprendre les fables de la Fontaine à tous les enfants, & il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les entendraient, ce seroit encore pis ; car la morale en est tellement mêlée & si disproportionnée à leur âge, qu’elle les porteroit plus au vice qu’à la vertu. Ce sont encore là, direz-vous, des paradoxes. Soit ; mais voyons si ce sont des vérités.

Je dis qu’un enfant n’entend point les fables qu’on lui fait apprendre, parce que quelque effort qu’on fasse pour les rendre simples, l’instruction qu’on en veut tirer force d’y faire entrer des idées qu’il ne peut saisir, & que le tour même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir, en sorte qu’on achète l’agrément aux dépens de la clarté. Sans citer cette multitude de fables qui n’ont rien d’intelligible ni d’utile pour les enfants, et qu’on leur fait indiscrètement apprendre avec les autres, parce qu’elles