Mais où placerons-nous cet enfant pour l’élever comme un être insensible, comme un automate ? Le tiendrons-nous dans le globe de la Lune, dans une Isle déserte ? L’écarterons-nous de tous les humains ? N’aura-t-il pas continuellement, dans le monde, le spectacle & l’exemple des passions d’autrui ? Ne verra-t-il jamais d’autres enfans de son âge ? Ne verra-t-il pas ses parents, ses voisins, sa nourrice, sa gouvernante, son laquais, son gouverneur même, qui après tout ne sera pas un Ange ?
Cette objection est forte & solide. Mais vous ai-je dit que ce fût une entreprise aisée qu’une éducation naturelle ? Ô hommes, est-ce ma faute si vous avez rendu difficile tout ce qui est bien ? Je sens ces difficultés, j’en conviens : peut-être sont-elles insurmontables. Mais toujours est-il sûr qu’en s’appliquant à les prévenir, on les prévient jusqu’à certain point. Je montre le but qu’il faut qu’on se propose : je ne dis pas qu’on y puisse arriver ; mais je dis que celui qui en approchera davantage aura le mieux réussi.
Souvenez-vous qu’avant d’oser entreprendre de former un homme, il faut s’être fait homme soi-même ; il faut trouver en soi l’exemple qu’il se doit proposer. Tandis que l’enfant est encore sans connoissance, on a le tems de préparer tout ce qui l’approche, à ne frapper ses premiers regards que des objets qu’il lui convient de voir. Rendez-vous respectable à tout le monde ; commencez par vous faire aimer, afin que chacun cherche à vous complaire. Vous ne serez point maître de l’enfant, si vous ne l’êtes de tout ce qui l’entoure, & cette autorité ne sera jamais suffisante, si