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Je n’attendis pas plus tard que le même soir. Comme elle vit que je m’étois ménagé un tête-à-tête, elle me dit : Vous m’avez prévenue, j’avois à vous parler. Fort bien, lui dis-je ; mais puisque j’ai pris les devants, laissez-moi m’expliquer le premier.

Alors, m’étant assis auprès d’elle & la regardant fixement, je lui dis : Julie, ma chére Julie ! vous avez navré mon cœur : hélas ! vous avez attendu bien tard ! Oui, continuai-je, voyant qu’elle me regardoit avec surprise, je vous ai pénétrée ; vous vous réjouissez de mourir ; vous êtes bien aise de me quitter. Rappelez-vous la conduite de votre époux depuis que nous vivons ensemble ; ai-je mérité de votre part un sentiment si cruel ? À l’instant elle me prit les mains & de ce ton qui savoit aller chercher l’ame : Qui ? moi ? je veux vous quitter ? Est-ce ainsi que vous lisez dans mon cœur ? Avez-vous sitôt oublié notre entretien d’hier ? - Cependant, repris-je, vous mourez contente … je l’ai vu… je le vois… - Arrêtez, dit-elle ; il est vrai, je meurs contente ; mais c’est de mourir comme j’ai vécu, digne d’être votre épouse. Ne m’en demandez pas davantage, je ne vous dirai rien de plus ; mais voici, continua-t-elle en tirant un papier de dessous son chevet, où vous acheverez d’éclaircir ce mystere. Ce papier étoit une lettre ; & je vis qu’elle vous étoit adressée. Je vous la remets ouverte, ajouta-t-elle en me la donnant, afin qu’apres l’avoir lue vous vous déterminiez à l’envoyer ou à la supprimer, selon ce que vous trouverez le plus convenable à votre sagesse & à mon honneur. Je vous prie de ne la lire que quand je ne serai plus ; & je suis si sûre de ce que vous ferez à ma priere, que je ne veux pas même que vous me le promettiez. Cette lettre,