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Vous avez vu ce qui s’est passé durant trois mois à Clarens ; vous avez vu deux hommes pleins d’estime & de respect l’un pour l’autre, éloignés par leur état & par leur goût des pointilleries de college, passer un hiver entier à chercher dans des disputes sages & paisibles, mais vives & profondes, à s’éclairer mutuellement, s’attaquer, se défendre se saisir par toutes les prises que peut avoir l’entendement humain & sur une matiere où tous deux, n’ayant que le même intérêt, ne demandoient pas mieux que d’être d’accord.

Qu’est-il arrivé ? Ils ont redoublé d’estime l’un pour l’autre, mais chacun est resté dans son sentiment. Si cet exemple ne guérit pas à jamais un homme sage de la dispute, l’amour de la vérité ne le touche guere ; il cherche à briller.

Pour moi, j’abandonne à jamais cette arme inutile & j’ai résolu de ne plus dire à mon mari un seul mot de religion que quand il s’agira de rendre raison de la mienne. Non que l’idée de la tolérance divine m’ait rendue indifférente sur le besoin qu’il en a. Je vous avoue même que, tranquillisée sur son sort à venir, je ne sens point pour cela diminuer mon zele pour sa conversion. Je voudrois au prix de mon sang le voir une fois convaincu ; si ce n’est pour son bonheur dans l’autre monde, c’est pour son bonheur dans celui-ci. Car de combien de douceurs n’est-il point privé ! Quel sentiment peut le consoler dans ses peines ? Quel spectateur anime les bonnes actions qu’il fait en secret ? Quelle voix peut parler au fond de son âme ? Quel prix peut-il attendre de sa vertu ? Comment doit-il envisager la mort ? Non, je l’espere, il ne l’attendra pas dans cet état horrible. Il me reste une ressource