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de l’imagination & substitue au véritable amour de Dieu des sentimens imités de l’amour terrestre & trop propres à le réveiller. Plus on a le cœur tendre & l’imagination vive, plus on doit éviter ce qui tend à les émouvoir ; car enfin, comment voir les rapports de l’objet mystique, si l’on ne voit aussi l’objet sensuel & comment une honnête femme ose-t-elle imaginer avec assurance des objets qu’elle n’oseroit regarder [1] ?

Mais ce qui m’a donné le plus d’éloignement pour les dévots de profession, c’est cette âpreté de mœurs qui les rend insensibles à l’humanité, c’est cet orgueil excessif qui leur fait regarder en pitié le reste du monde. Dans leur élévation sublime, s’ils daignent s’abaisser à quelque acte de bonté, c’est d’une maniere si humiliante, ils plaignent les autres d’un ton si cruel, leur justice est si rigoureuse, leur charité est si dure, leur zele est si amer, leur mépris ressemble si fort à la haine, que l’insensibilité même des gens du monde est moins barbare que leur commisération. L’amour de Dieu leur sert d’excuse pour n’aimer personne, ils ne s’aiment pas même l’un l’autre ; vit-on jamais d’amitié véritable entre les dévots ? Mais plus ils se détachent des hommes, plus ils en exigent & l’on diroit qu’ils ne s’élevent à Dieu que pour exercer son autorité sur la terre.

  1. Cette objection me paroît tellement solide & sans réplique, que si j’avois le moindre pouvoir dans l’église, je l’emploierois à faire retrancher de nos livres sacrés le Cantique des Cantiques & j’aurois bien du regret d’avoir attendu si tard.