Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/452

Cette page n’a pas encore été corrigée

au dernier jugement tel que tu parles à mon cœur durant ma vie.

Je ne saurois vous dire combien ces idées jettent de douceur sur mes jours & de joie au fond de mon cœur. En sortant de mon cabinet ainsi disposée, je me sens plus légere & plus gaie ; toute la peine s’évanouit, tous les embarras disparaissent ; rien de rude, rien d’anguleux ; tout devient facile & coulant, tout prend à mes yeux une face plus riante ; la complaisance ne me coûte plus rien ; j’en aime encore mieux ceux que j’aime & leur en suis plus agréable. Mon mari même en est plus content de mon humeur. La dévotion, prétend-il, est un opium pour l’ame ; elle égaye, anime & soutient quand on en prend peu ; une trop forte dose endort, ou rend furieux, ou tue. j’espere ne pas aller jusque-là.

Vous voyez que je ne m’offense pas de ce titre de dévote autant peut-être que vous l’auriez voulu, mais je ne lui donne pas non plus tout le prix que vous pourriez croire. Je n’aime point, par exemple, qu’on affiche cet état par un extérieur affecté & comme une espece d’emploi qui dispense de tout autre. Ainsi cette Madame Guyon dont vous me parlez eût mieux fait, ce me semble, de remplir avec soin ses devoirs de mere de famille, d’élever chrétiennement ses enfans, de gouverner sagement sa maison, que d’aller composer des livres de dévotion, disputer avec des évêques & se faire mettre à la Bastille pour des rêveries où l’on ne comprend rien. Je n’aime pas non plus ce langage mystique & figuré qui nourrit le cœur des chimeres