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en tire tout sa finesse. Tant que les Genevoises seront Genevoises, elles seront les plus aimables femmes de l’Europe ; mais bientôt elles voudront être Françaises & alors les Françaises vaudront mieux qu’elles.

Ainsi tout dépérit avec les mœurs. Le meilleur goût tient à la vertu même ; il disparaît avec elle & fait place à un goût factice & guindé, qui n’est plus que l’ouvrage de la mode. Le véritable esprit est presque dans le même cas. N’est-ce pas la modestie de notre sexe qui nous oblige d’user d’adresse pour repousser les agaceries des hommes & s’ils ont besoin d’art pour se faire écouter, nous en faut-il moins pour savoir ne les pas entendre ? N’est-ce pas eux qui nous délient l’esprit & la langue, qui nous rendent plus vives à la riposte [1], & nous forcent de nous moquer d’eux ? Car enfin, tu as beau dire, une certaine coquetterie maligne & railleuse désoriente encore plus les soupirans que le silence ou le mépris. Quel plaisir de voir un beau Céladon, tout déconcerté, se confondre, se troubler, se perdre à chaque repartie ; de s’environner contre lui de traits moins brûlants, mais plus aigus que ceux de l’Amour ; de le cribler de pointes de glace qui piquent à l’aide du froid ! Toi même qui ne fais semblant de rien, crois-tu que tes manieres naives & tendres, ton air timide & doux, cachent moins de ruse & d’habileté que toutes mes étourderies ? Ma foi, mignonne, s’il faloit compter les galans que chacune de nous a persiflés, je doute fort qu’avec ta mine hypocrite ce fût toi qui serais en reste. Je ne puis

  1. Il faloit risposte, de l’italien risposta, toutefois riposte se dit aussi & je le laisse. Ce n’est au pis aller qu’une faute de plus.