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lettre à la main. Je m’écriai : La marquise est morte ! - Plût à Dieu ! reprit-il froidement, il vaut mieux n’être plus que d’exister pour mal faire. Mais ce n’est pas d’elle que je viens vous parler ; écoutez-moi. J’attendis en silence.

Milord, me dit-il, en me donnant le saint nom d’ami, vous m’apprîtes à le porter. J’ai rempli la fonction dont vous m’avez chargé ; & vous voyant prêt à vous oublier, j’ai dû vous rappeler à vous-même. Vous n’avez pu rompre une chaîne que par une autre. Toutes deux étoient indignes de vous. S’il n’eût été question que d’un mariage inégal, je vous aurois dit : Songez que vous êtes pair d’Angleterre & renoncez aux honneurs du monde, ou respectez l’opinion. Mais un mariage abject !… vous !… Choisissez mieux votre épouse. Ce n’est pas assez qu’elle soit vertueuse, elle doit être sans tache… La femme d’Edouard Bomston n’est pas facile à trouver. Voyez ce que j’ai fait.

Alors il me remit la lettre. Elle étoit de Laure. Je ne l’ouvris pas sans émotion. L’amour a vaincu, me disait-elle ; vous avez voulu m’épouser ; je suis contente. Votre ami m’a dicté mon devoir ; je le remplis sans regret. En vous déshonorant, j’aurois vécu malheureuse ; en vous laissant votre gloire, je crois la partager. Le sacrifice de tout mon bonheur à un devoir si cruel me fait oublier la honte de ma jeunesse. Adieu, des cet instant je cesse d’être en votre pouvoir & au mien. Adieu pour jamais. Ô Edouard ! ne portez pas le désespoir dans ma retraite ; écoutez mon dernier vœu. Ne donnez à nulle autre une place que je n’ai pu remplir. Il fut au monde un cœur fait pour vous & c’étoit celui de Laure.