Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/349

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien conduire ? Je m’avilis moins il est vrai ; mais me suis-je élevée comme elle ? Ai-je évité tant de pieges & fait tant de sacrifices ? Du dernier degré de la honte elle a sçu remonter au premier degré de l’honneur : elle est plus respectable cent fois que si jamais elle n’eût été coupable. Elle est sensible & vertueuse ; que lui faut-il pour nous ressembler !. S’il n’y a point de retour aux fautes de la jeunesse quel droit ai-je à plus d’indulgence ? Devant qui dois-je espérer de trouver grâce & à quel honneur pourrais-je prétendre en refusant de l’honorer ?

He bien ! cousine, quand ma raison me dit cela, mon cœur en murmure ; & sans que je puisse expliquer pourquoi, j’ai peine à trouver bon qu’Edouard ait fait ce mariage & que son ami s’en soit mêlé. Ô l’opinion ! l’opinion ! Qu’on a de peine à secouer son joug ! Toujours elle nous porte à l’injustice ; le bien passé s’efface par le mal présent ; le mal passé ne s’effacera-t-il jamais par aucun bien ?

J’ai laissé voir à mon mari mon inquiétude sur la conduite de Saint-Preux dans cette affaire. Il semble, ai-je dit, avoir honte d’en parler à ma cousine. Il est incapable de lâcheté, mais il est foible… trop d’indulgence pour les fautes d’un ami… - Non, m’a-t-il dit, il a fait son devoir ; il le fera, je le sais ; je ne puis rien vous dire de plus ; mais Saint-Preux est un honnête garçon. Je réponds de lui, vous en serez contente… Claire, il est impossible que Wolmar me trompe & qu’il se trompe. Un discours si positif m’a fait rentrer en moi-même : j’ai compris que