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LETTRE XII. DE SAINT PREUX À M. DE WOLMAR.

Que cette lettre demeure entre vous & moi. Qu’un profond secret cache à jamais les erreurs du plus vertueux des hommes. Dans quel pas dangereux je me trouve engagé ! Ô mon sage & bienfaisant ami, que n’ai-je tous vos conseils dans la mémoire comme j’ai vos bontés dans le cœur ! Jamais je n’eus si grand besoin de prudence & jamais la peur d’en manquer ne nuisit tant au peu que j’en ai. Ah ! où sont vos soins paternels, où sont vos leçons, vos lumieres ? Que deviendrai-je sans vous ? Dans ce moment de crise je donnerois tout l’espoir de ma vie pour vous avoir ici durant huit jours.

Je me suis trompé dans toutes mes conjectures ; je n’ai fait que des fautes jusqu’à ce moment. Je ne redoutois que la marquise. Après l’avoir vue, effrayé de sa beauté, de son adresse, je m’efforçois d’en détacher tout-à-fait l’âme noble de son ancien amant. Charmé de le ramener du côté d’où je ne voyois rien à craindre, je lui parlois de Laure avec l’estime & l’admiration qu’elle m’avoit inspirée ; en relâchant son plus fort attachement par l’autre, j’espérois les rompre enfin tous les deux.

Il se prêta d’abord à mon projet ; il outra même la complaisance & voulant peut-être punir mes importunités par un peu d’alarmes, il affecta pour Laure encore plus d’empressement