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au moins l’espoir de la rejoindre… Mais elle vit, elle est heureuse… Elle vit & sa vie est ma mort & son bonheur est mon supplice ; & le ciel, après me l’avoir arrachée, m’ôte jusqu’à la douceur de la regretter !… Elle vit, mais non pas pour moi ; elle vit pour mon désespoir.

Je suis cent fois plus loin d’elle que si elle n’étoit plus. Je me couchai dans ces tristes idées. Elles me suivirent durant mon sommeil & le remplirent d’images funebres. Les ameres douleurs, les regrets, la mort, se peignirent dans mes songes & tous les maux que j’avois soufferts reprenoient à mes yeux cent formes nouvelles pour me tourmenter une seconde fois. Un rêve sur-tout, le plus cruel de tous, s’obstinoit à me poursuivre ; & de fantôme en fantôme toutes leurs apparitions confuses finissoient toujours par celui-là.

Je crus voir la digne mere de votre amie dans son lit expirante & sa fille à genoux devant elle, fondant en larmes, baisant ses mains & recueillant ses derniers soupirs. Je revis cette scene que vous m’avez autrefois dépeinte & qui ne sortira jamais de mon souvenir. Ô ma mere, disoit Julie d’un ton à me navrer l’âme, celle qui vous doit le jour vous l’ôte ! Ah ! reprenez votre bienfait ! sans vous il n’est pour moi qu’un don funeste. - Mon enfant, répondit sa tendre mere... il faut remplir son sort… Dieu est juste... tu seras mere à ton tour… Elle ne put achever. Je voulus lever les yeux sur elle, je ne la vis plus. Je vis Julie à sa place ; je la vis, je la reconnus, quoique son visage