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années s’effacerent de ma vie & tous mes malheurs furent oubliés. Hélas ! cette erreur fut courte & le second instant me rendit plus accablant le poids de toutes mes anciennes peines. Quelles tristes réflexions succéderent à ce premier enchantement ! Quelles comparaisons douloureuses s’offrirent à mon esprit ! Charmes de la premiere jeunesse, délices des premieres amours, pourquoi vous retracer encore à ce cœur accablé d’ennuis & surchargé de lui-même ! Ô temps, tems heureux, tu n’es plus ! J’aimais, j’étois aimé. Je me livrois dans la paix de l’innocence aux transports d’un amour partagé. Je savourois à longs traits le délicieux sentiment qui me faisoit vivre. La douce vapeur de l’espérance enivroit mon cœur ; une extase, un ravissement, un délire, absorboit toutes mes facultés. Ah ! sur les rochers de Meillerie, au milieu de l’hiver & des glaces, d’affreux abîmes devant les yeux, quel être au monde jouissoit d’un sort comparable au mien ?… & je pleurais ! & je me trouvois à plaindre & la tristesse osoit approcher de moi !… Que serai-je donc aujourd’hui que j’ai tout possédé, tout perdu ?... J’ai bien mérité ma misere, puisque j’ai si peu senti mon bonheur… Je pleurois alors… Tu pleurais… Infortuné, tu ne pleures plus… Tu n’as pas même le droit de pleurer… Que n’est-elle pas morte ! osai-je m’écrier dans un transport de rage ; oui, je serois moins malheureux ; j’oserois me livrer à mes douleurs ; j’embrasserois sans remords sa froide tombe ; mes regrets seroient dignes d’elle ; je dirais : Elle entend mes cris, elle voit mes pleurs, mes gémissemens la touchent, elle approuve & reçoit mon pur hommage… J’aurois