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au seul Etre digne de les absorber [1]. L’amour de Dieu ne le détache point des créatures ; il ne lui donne ni dureté ni aigreur. Tous ces attachemens produits par la même cause, en s’animant l’un par l’autre en deviennent plus charmans & plus doux & pour moi je crois qu’elle seroit moins dévote, si elle aimoit moins tendrement son pere, son mari, ses enfans, sa cousine & moi-même.

Ce qu’il y a de singulier, c’est que plus elle l’est, moins elle croit l’être, qu’elle se plaint de sentir en elle-même une ame aride qui ne sait point aimer Dieu. On a beau faire, dit-elle souvent, le cœur ne s’attache que par l’entremise des sens ou de l’imagination qui les représente & le moyen de voir ou d’imaginer l’immensité du grand Etre [2] ? Quand je veux m’élever à lui je ne sais où je suis ; n’appercevant aucun rapport entre lui & moi, je ne sais par où l’atteindre, je ne vois ni ne sens plus rien, je me trouve dans une espece d’anéantissement & si j’osois juger d’autrui

  1. Comment ! Dieu n’aura donc que les restes des créatures ? Au contraire, ce que les créatures peuvent occuper du cœur humain est si peu de chose, que quand on croit l’avoir rempli d’elles, il est encore vuide. Il faut un objet infini pour le remplir.
  2. Il est certain qu’il faut se fatiguer l’ame pour l’élever aux sublimes idées de la Divinité ; un culte plus sensible repose l’esprit du peuple. Il aime qu’on lui offre des objets de piété qui le dispensent de penser a Dieu. Sur ces maximes les Catholiques ont-ils mal fait de remplir leurs Légendes, leurs Calendriers, leurs Eglises, de petits Anges, de beaux garçons & de jolies saintes ? L’enfant Jésus entre les bras d’une mere charmante & modeste, est en même tems un des plus touchans & des plus agréables spectacles que la dévotion Chrétienne puisse offrir aux yeux des fideles.