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beaucoup sans s’incommoder, de s’égayer à boire sans altérer sa raison, de tenir table long-tems sans ennui & d’en sortir toujours sans dégoût.

Il y a au premier étage une petite salle à manger différente de celle où l’on mange ordinairement, laquelle est au rez-de-chaussée. Cette salle particuliere est à l’angle de la maison & éclairée de deux côtés ; elle donne par l’un sur le jardin, au-delà duquel on voit le lac à travers les arbres ; par l’autre on aperçoit ce grand coteau de vignes qui commencent d’étaler aux yeux les richesses qu’on y recueillera dans deux mois. Cette piece est petite : mais ornée de tout ce qui peut la rendre agréable & riante. C’est là que Julie donne ses petits festins à son pere, à son mari, à sa cousine, à moi, à elle-même & quelquefois à ses enfans. Quand elle ordonne d’y mettre le couvert on sait d’avance ce que cela veut dire & M. de Wolmar l’appelle en riant le salon d’Apollon ; mais ce salon ne differe pas moins de celui de Lucullus par le choix des convives que par celui des mets. Les simples hôtes n’y sont point admis, jamais on n’y mange quand on a des étrangers ; c’est l’asile inviolable de la confiance, de l’amitié, de la liberté. C’est la société des cœurs qui lie en ce lieu celle de la table ; elle est une sorte d’initiation à l’intimité & jamais il ne s’y rassemble que des gens qui voudroient n’être plus séparés. Milord, la fête vous attend & c’est dans cette salle que vous ferez ici votre premier repas.

Je n’eus pas d’abord le même honneur. Ce ne fut qu’à mon retour de chez Mde. d’Orbe que je fus traité dans