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sans cesse à les admirer, sans les imiter jamais ? Vous parlez avec chaleur de la maniere dont elle remplit ses devoirs d’épouse & de mere ; mais vous, quand remplirez-vous vos devoirs d’homme & d’ami à son exemple ? Une femme a triomphé d’elle-même & un philosophe a peine à se vaincre ! Voulez-vous donc n’être qu’un discoureur comme les autres & vous borner à faire de bons livres, au lieu de bonnes actions [1] ? Prenez-y garde, mon cher ; il regne encore dans vos lettres un ton de mollesse & de langueur qui me déplaît & qui est bien plus un reste de votre passion qu’un effet de votre caractere. Je hais par-tout la foiblesse & n’en veux point dans mon ami. Il n’y a point de vertu sans force & le chemin du vice est la

  1. Non, ce siecle de la philosophie ne passera point sans avoir produit un vrai philosophe. J’en connois un, un feul, j’en conviens ; mais c’est beaucoup encore & pour comble de bonheur, c’est dans mon pays qu’il existe. L’oserai-je nommer ici, lui dont la véritable gloire est d’avoir sçu rester peu connu ? Savant & modeste Abauzit ; que votre sublime simplicité pardonne à mon cœur un zele qui n’a point votre nom pour objet. Non, ce n’est pas vous que je veux faire connoître à ce fiecle indigne de vous admirer ; c’est Geneve que je veux illustrer de votre séjour : ce sont mes Concitoyens que je veux honorer de l’honneur qu’ils vous rendent. Heureux le pays où le mérite qui en est d’autant plus estime ! Heureux le peuple où la jeunesse altiere vient abaisser son ton dogmatique & rougir de son vain savoir, devant la docte ignorance du sage ! Venerable & vertueux vieillard ! vous n’aurez point été prôné par les beaux esprits ; leurs bruyantes Academies n’auront point retenti de vos eloges ; au lieu de déposer comme eux votre sagesse dans des livres, vous l’aurez mise dans votre vie pour l’exemple de la patrie que vous avez daigné vous choisir, que vous aimez & qui vous respecte. Vous avez vecu comme Socrate ; mais il mourut par la main de ses Concitoyens & vous etes chéri des vôtres.