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avec plus de complaisance des souvenirs qui doivent s’éteindre ; il en parleroit avec moins de réserve ; & les traits de sa Julie ne sont pas tellement effacés en Madame de Wolmar, qu’à force de les y chercher il ne les y pût trouver encore. J’ai pensé qu’au lieu de lui ôter l’opinion des progres qu’il croit avoir faits & qui sert d’encouragement pour achever, il faloit lui faire perdre la mémoire des tems qu’il doit oublier, en substituant adroitement d’autres idées à celles qui lui sont si cheres. Vous, qui contribuâtes à les faire naître, pouvez contribuer plus que personne à les effacer ; mais c’est seulement quand vous serez tout-à-fait avec nous que je veux vous dire à l’oreille ce qu’il faut faire pour cela ; charge qui, si je ne me trompe, ne vous sera pas fort onéreuse. En attendant, je cherche à le familiariser avec les objets qui l’effarouchent, en les lui présentant de maniere qu’ils ne soient plus dangereux pour lui. Il est ardent, mais faible & facile à subjuguer. Je profite de cet avantage en donnant le change à son imagination. À la place de sa maîtresse, je le force de voir toujours l’épouse d’un honnête homme & la mere de mes enfans : j’efface un tableau par un autre & couvre le passé du présent. On mene un coursier ombrageux à l’objet qui l’effraye, afin qu’il n’en soit plus effrayé. C’est ainsi qu’il en faut user avec ces jeunes gens dont l’imagination brûle encore, quand leur cœur est déjà refroidi & leur offre dans l’éloignement des monstres qui disparaissent à leur approche.

Je crois bien connoître les forces de l’un & de l’autre ; je ne les expose qu’à des épreuves qu’ils peuvent soutenir ;