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au fond de son ame, & de s’efforcer d’être mort durant sa vie. Le seul moyen qu’ait trouvé la raison pour nous soustraire aux maux de l’humanité n’est-il pas de nous détacher des objets terrestres, & de tout ce qu’il y a de mortel en nous, de nous recueillir au dedans de nous-mêmes, de nous élever aux sublimes contemplations, & si nos passions, & nos erreurs font nos infortunes, avec quelle ardeur devons-nous soupirer apres un état qui nous délivre des unes, & des autres ? Que font ces hommes sensuels qui multiplient si indiscretement leurs douleurs parleurs voluptés ? Ils anéantissent, pour ainsi dire, leur existence à force de l’étendre sur la terre ; ils aggravent le poids de leurs chaînes par le nombre de leurs attachements ; ils n’ont point de jouissances qui ne leur préparent mille ameres privations : plus ils sentent, & plus ils souffrent ; plus ils s’enfoncent dans la vie, & plus ils sont malheureux.

Mais qu’en général ce soit, si l’on veut, un bien pour l’homme de ramper tristement sur la terre, j’y consens : je ne prétends pas que tout le genre humain doive s’immoler d’un commun accord, ni faire un vaste tombeau du monde. Il est, il est des infortunés trop privilégiés pour suivre la route commune, & pour qui le désespoir, & les ameres douleurs sont le passe-port de la nature : c’est à ceux-là qu’il seroit aussi insensé de croire que leur vie est un bien, qu’il l’étoit au sophiste Possidonius tourmenté de la goutte de nier qu’elle fût un mal. Tant qu’il nous est bon de vivre, nous le désirons fortement, & il n’y a que le sentiment des maux extrêmes qui puisse vaincre en nous