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digne des transports qui m’agitent !… avant que ta main se fût avilie dans ce nœud funeste abhorré par l’amour, & réprouvé par l’honneur, j’irois de la mienne te plonger un poignard dans le sein ; j’épuiserois ton chaste cœur d’un sang que n’auroit point souillé l’infidélité. À ce pur-sang je mêlerois celui qui brûle dans mes veines d’un feu que rien ne peut éteindre, je tomberois dans tes bras ; je rendrois sur tes levres mon dernier soupir… Je recevrois le tien… Julie expirante !…ces yeux si doux éteins par les horreurs de la mort !…ce sein, ce trône de l’amour déchiré par ma main, versant à gros bouillons le sang, & la vie !… Non, vis, & souffre ! porte la peine de ma lâcheté. Non, je voudrois que tu ne fusses plus ; mais je ne puis t’aimer assez pour te poignarder.

Ô si tu connoissois l’état de ce cœur serré de détresse ! Jamais il ne brûla d’un feu si sacré ; jamais ton innocence, & ta vertu ne lui fut si chére. Je suis amant, je suis aimé, je le sens ; mais je ne suis qu’un homme, & il est au-dessus de la force humaine de renoncer à la suprême félicité. Une nuit, une seul nuit a changé pour jamais toute mon ame. Ô te-moi ce dangereux souvenir, & je suis vertueux. Mais cette nuit fatale regne au fond de mon cœur, & va couvrir de son ombre le reste de ma vie. Ah ! Julie ! objet adoré ! s’il faut être à jamais misérables, encore une heure de bonheur, & des regrets éternels !

Ecoute celui qui t’aime. Pourquoi voudrions-nous être plus sages nous seuls que tout le reste des hommes, & suivre avec une simplicité d’enfans de chimériques vertus dont tout le monde parle, & que personne ne pratique ? Quoi ! serons-nous