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ne fais qu’augmenter leurs misere, en leur ôtant les ressources que la fortune leur laisse. J’obéirai pourtant, oui, cruelle, j’obéirai ; je deviendrai, s’il se peut, insensible, & féroce comme vous. J’oublierai tout ce qui me fut cher au monde. Je ne veux plus entendre ni prononcer le nom de Julie ni le vôtre. Je ne veux plus m’en rappeler l’insupportable souvenir. Un dépit, une rage inflexible m’aigrit contre tant de revers. Une dure opiniâtreté me tiendra lieu de courage : il m’en a trop coûté d’être sensible ; il vaut mieux renoncer à l’humanité.

LETTRE IV. DE MDE. D’ORBE À L’AMANT DE JULIE.

Vous m’avez écrit une lettre désolante ; mais il y a tant d’amour, & de vertu dans votre conduite, qu’elle efface l’amertume de vos plaintes : vous êtes trop généreux pour qu’on ait le courage de vous quereller. Quelque emportement qu’on laisse paroître, quand on sait ainsi s’immoler à ce qu’on aime, on mérite plus de louanges que de reproches, & malgré vos injures, vous ne me futes jamais si cher que depuis que je connois si bien tout ce que vous valez.

Rendez grace à cette vertu que vous croyez hair, & qui fait plus pour vous que votre amour même. Il n’y a pas jusqu’à ma tante que vous n’ayez séduite par un sacrifice dont elle sent tout le prix. Elle n’a pu lire votre lettre sans attendrissement ;