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les vrais effets. L’homme du monde voit tout & n’a le tems de penser à rien : la mobilité des objets ne lui permet que de les apercevoir & non de les observer ; ils s’effacent mutuellement avec rapidité & il ne lui reste du tout que des impressions confuses qui ressemblent au chaos.

On ne peut pas non plus voir & méditer alternativement, parce que le spectacle exige une continuité d’attention qui interrompt la réflexion. Un homme qui voudroit diviser son tems par intervalles entre le monde & la solitude, toujours agité dans sa retraite & toujours étranger dans le monde, ne seroit bien nulle part. Il n’y auroit d’autre moyen que de partager sa vie entiere en deux grands espaces : l’un pour voir, l’autre pour réfléchir. Mais cela même est presque impossible, car la raison n’est pas un meuble qu’on pose & qu’on reprenne à son gré & quiconque a pu vivre dix ans sans penser ne pensera de sa vie.

Je trouve aussi que c’est une folie de vouloir étudier le monde en simple spectateur. Celui qui ne prétend qu’observer n’observe rien, parce qu’étant inutile dans les affaires & importun dans les plaisirs, il n’est admis nulle part. On ne voit agir les autres qu’autant qu’on agit soi-même ; dans l’école du monde comme dans celle de l’amour, il faut commencer par pratiquer ce qu’on veut apprendre.

Quel parti prendrai-je donc, moi étranger, qui ne puis avoir aucune affaire en ce pays & que la différence de religion empêcheroit seule d’y pouvoir aspirer à rien ? Je suis réduit à m’abaisser pour m’instruire & ne pouvant jamais être un homme