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Qui cantô dolcemente, e qui s’assise ;
Qui si rivolse, e qui ritenne il passo ;
Qui co’begl : occhi mi trafise il core ;
Qui disse una parola & qui sorrise. [1]

Mais toi, sais-tu t’arrêter à ces situations paisibles ? Sais-tu goûter un amour tranquille & tendre qui parle au cœur sans émouvoir les sens & tes regrets sont-ils aujourd’hui plus sages que tes désirs ne l’étoient autrefois ? Le ton de ta premiere lettre me fait trembler. Je redoute ces emportemens trompeurs, d’autant plus dangereux que l’imagination qui les excite n’a point de bornes & je crains que t un’outrages ta Julie à force de l’aimer. Ah ! tu ne sens pas, non, ton cœur peu délicat ne sent pas combien l’amour s’offense d’un vain hommage, tu ne songes ni que ta vie est à moi, ni qu’on court souvent à la mort en croyant servir la nature. Homme sensuel, ne sauras-tu jamais aimer ? Rappelle-toi, rappelle-toi ce sentiment si calme & si doux que tu connus une fois & que tu décrivis d’un ton si touchant & si tendre. S’il est le plus délicieux qu’ait jamais savouré l’amour heureux, il est le seul permis aux amans séparés ; & quand on l’a pu goûter un moment, on n’en doit plus regretter d’autre. Je me souviens de réflexions que nous faisions, en lisant ton Plutarque, sur un goût dépravé qui outrage la nature. Quand ses tristes plaisirs n’auroient

  1. C’est ici qu’il chanta d’un ton si doux, voilà le siége où il s’affit, ici il marchoit & là il s’arrêta, ici d’un regard tendre il me perça le cœur, ici il me dit un mot & là je le vis sourire. Petrarc.