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les armes chez un Prince étranger, son pere les a portées gratuitement pour la patrie. Si vous avez bien servi, vous avez été bien payé, & quelque honneur que vous ayez acquis à la guerre, cent roturiers en ont acquis encore plus que vous.

De quoi s’honore donc, continua Milord Edouard, cette noblesse dont vous êtes si fier ? Que fait-elle pour la gloire de la patrie ou le bonheur du genre humain ? Mortelle ennemie des loix & de la liberté qu’a-t-elle jamais produit dans la plupart des pays où elle brille, si ce n’est la force de la tyrannie & l’oppression des peuples ? Osez-vous dans une République vous honorer d’un état destructeur des vertus & de l’humanité ? d’un état où l’on se vante de l’esclavage, & où l’on rougit d’être homme ? Lisez les annales de votre patrie : en quoi votre ordre a-t-il bien mérité d’elle ? quels nobles comptez-vous parmi ses libérateurs ? LesFurst, les Tell, les Stouffacher, étoient-ils gentilshommes ? Quelle est donc cette gloire insensée dont vous faites tant de bruit ? Celle de servir un homme & d’être à charge à l’Etat.

Conçois, ma chere, ce que je souffrois de voir cet honnête-homme nuire ainsi par une âpreté déplacée aux intérêts de l’ami qu’il vouloit servir. En effet, ton pere irrité par tant d’invectives piquantes quoique générales, se mit à les repousser par des personnalités. Il dit nettement à Milord Edouard que jamais homme de sa condition n’avoit tenu les propos qui venoient de lui échapper. Ne plaidez point inutilement la cause d’autrui, ajouta-t-il d’un ton brusque ;