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lâcheté dans la crainte de ce reproche, que dans celle de la mort même. Le fanfaron, le poltron veut à toute force passer pour brave.

Ma verace valor, ben che negletto,
È di se stesso a se freggio assai chiaro. [1]

Celui qui feint d’envisager la mort sans effroi, ment. Tout homme craint de mourir, c’est la grande loi des êtres sensibles, sans laquelle toute espece mortelle seroit bientôt détruite. Cette crainte est un simple mouvement de la nature, non-seulement indifférent, mais bon en lui-même & conforme à l’ordre. Tout ce qui la rend honteuse & blâmable, c’est qu’elle peut nous empêcher de bien faire & de remplir nos devoirs. Si la lâcheté n’étoit jamais un obstacle à la vertu, elle cesseroit d’être un vice. Quiconque est plus attaché à sa vie qu’à son devoir ne sauroit être solidement vertueux, j’en conviens. Mais expliquez-moi, vous qui vous piquez de raison, quelle espece de mérite on peut trouver à braver la mort pour commettre un crime ?

Quand il seroit vrai qu’on se fait mépriser en refusant de se battre, quel mépris est le plus à craindre, celui des autres en faisant bien, ou le sien propre en faisant mal ? Croyez-moi, celui qui s’estime véritablement lui-même est peu sensible à l’injustemé pris d’autrui, & ne craint que d’en être digne ; car le bon & l’honnête ne dépendent point du jugement des hommes, mais de la nature des choses, & quand toute la terre approuveroit l’action que vous allez faire,

  1. Mais la véritable valeur n’a pas besoin du témoignage d’autrui & tire sa gloire d’elle-même.