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si délicieuses ! Je te conjure premierement d’entendre un essai de cette musique, soit chez toi, soit chez l’inséparable. Milord y conduira quand tu voudras tout son monde, & je suis sûr qu’avec un organe aussi sensible que le tien, & plus de connoissance que je n’en avois de la déclamation italienne, une seule séance suffira pour t’amener au point où je suis, & te faire partager mon enthousiasme. Je te propose & te prie encore de profiter du séjour du virtuose pour rendre leçon de lui, comme j’ai commencé de faire des ce matin. Sa maniere d’enseigner est simple, nette, & consiste en pratique plus qu’en discours ; il ne dit pas ce qu’il fut faire, il le fait ; & en ceci, comme en bien d’autres choses l’exemple vaut mieux que la regle. Je vois déjà qu’il n’est question que de s’asservir à la mesure, de la bien sentir, de phraser & ponctuer avec soin, de soutenir également des sons & non de les renfler, enfin d’ôter de la voix les éclats & toute la pretintaille françoise, pour la rendre juste, expressive, & flexible ; la tienne naturellement si légere & si douce prendra facilement ce nouveau pli ; tu trouveras bientôt dans ta sensibilité l’énergie & la vivacité de l’accent qui anime la musique italienne.

E’l cantar che nell’anima si sente. [1]

Laisse donc pour jamais cet ennuyeux & lamentable chant françois qui ressemble au cri de la colique mieux qu’aux transports des passions. Apprends à former ces sons divins que le sentiment inspire, seuls dignes de ta voix, seuls dignes

  1. Et le chant qui se sent dans l’ame. Petr.