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fait, la crise est venue. Un jour, une heure, un moment, peut-être… qui est-ce qui sait éviter son sort ?…Ô dans quelque lieu que je vive & que je meure ; en quelque asyle obscur que je traîne ma honte & mon désespoir, Claire, souviens-toi de ton amie… Hélas ! la misere & l’opprobre changent les cœurs…Ah ! si jamais le mien t’oublie, il aura beaucoup changé !

LETTRE XXIX. DE JULIE À CLAIRE.

Reste ah ! reste, ne reviens jamais : tu viendrois trop tard. Je ne dois plus te voir ; comment soutiendrois-je ta vue ?

Où étois-tu, ma douce amie, ma sauvegarde, mon ange tutélaire ? Tu m’as abandonnée, & j’ai péri. Quoi ! ce fatal voyage étoit-il si nécessaire ou si pressé ? Pouvois-tu me laisser à moi-même dans l’instant le plus dangereux de ma vie ? Que de regrets tu t’es préparés par cette coupable négligence ! Ils seront éternels ainsi que mes pleurs. Ta perte n’est pas moins irréparable que la mienne, & une autre amie digne de toi n’est pas plus facile à recouvrer que mon innocence.

Qu’ai-je dit, misérable ? Je ne puis ni parler ni me taire. Que sert le silence quand le remords crie ? L’univers entier ne me reproche-t-il pas ma faute ? Ma honte n’est-elle