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LETTRE XXVIII. DE JULIE À CLAIRE.

Que ton absence me rend amere la vie que tu m’as rendue ! Quelle convalescence ! Une passion plus terrible que la fievre & le transport m’entraîne à ma perte. Cruelle ! tu me quittes quand j’ai plus besoin de toi ; tu m’a quittée pour huit jours, peut-être ne me reverras-tu jamais. Ô si tu savois ce que l’insensé m’ose proposer !… & de quel ton !… m’enfuir ! le suivre ! m’enlever !… le malheureux !… de qui me plains-je ? mon cœur, mon indigne cœur m’en dit cent fois plus que lui… grand Dieu ! que seroit-ce, s’il savoit tout ?…il en deviendroit furieux, je serois entraînée, il faudroit partir… je frémis…

Enfin mon pere m’a donc vendue ! il fait de sa fille une marchandise, une esclave, il s’acquitte à mes dépens ! il paye sa vie de la mienne !… car, je le sens bien, je n’y survivrai jamais..... pere barbare & dénaturé, mérite-t-il… quoi ! mériter ? c’est le meilleur des peres ; il veut unir sa fille à son ami, voilà son crime. Mais ma mere, ma tendre mere ! quel mal m’a-t-elle fait ?… Ah beaucoup ! elle m’a trop aimée, elle m’a perdue.

Claire, que ferai-je ? que deviendrai-je ? Hanz ne vient point. Je ne sais comment t’envoyer cette lettre. Avant que tu la reçoives… avant que tu sois de retour… qui sait.... fugitive, errante, déshonorée…c’en est fait, c’en est