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plus. Je parcours cent fois le jour les lieux que nous habitions ensemble, & ne t’y trouve jamais. Je t’attends à ton heure ordinaire ; l’heure passe, & tu ne viens point. Tous les objets que j’apperçois me portent quelque idée de ta présence pour m’avertir que je t’ai perdu. Tu n’as point ce supplice affreux. Ton cœur seul peut te dire que je te manque. Ah ! si tu savois quel pire tourment c’est de rester quand on se sépare, combien tu préférerois ton état au mien !

Encore si j’osois gémir ! si j’osois parler de mes peines, je me sentirois soulagée des maux dont je pourrois me plaindre. Mais, hors quelques soupirs exhalés en secret dans le sein de ma cousine, il faut étouffer tous les autres ; il faut contenir mes larmes ; il faut sourire quand je me meurs.

Sentirsi, oh Dei, morir ;
E non poter mai dir :
Morir mi sento ! [1]

Le pis est que tous ces maux aggravent sans cesse mon plus grand mal, & que plus ton souvenir me désole, plus j’aime à me le rappeler. Dis-moi, mon ami, mon doux ami ! sens-tu combien un cœur languissant est tendre, & combien la tristesse fait fermenter l’amour ?

Je voulois vous parler de mille choses ; mais outre qu’il faut mieux attendre de savoir positivement où vous êtes, il ne m’est pas possible de continuer cette lettre dans l’état où je me trouve en l’écrivant. Adieu, mon ami ; je quitte la plume, mais croyez que je ne vous quitte pas.

  1. Ô Dieux ! Se sentir mourir & n’oser dire : Je me sens mourir ! Metast.