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LETTRE XXIII. À JULIE.

À peine, ai-je employé huit jours à parcourir un pays qui demanderoit des années d’observation : mais outre que la neige me chasse, j’ai voulu revenir au-devant du Courrier qui m’apporte, j’espere, une de vos lettres. En attendant qu’elle arrive, je commence par vous écrire celle-ci, après laquelle j’en écrirai, s’il est nécessaire, une seconde pour répondre à la vôtre.

Je ne vous ferai point ici un détail de mon voyage & de mes remarques ; j’en ai fait une relation que je compte vous porter. Il faut réserver notre correspondance pour les choses qui nous touchent de plus près l’un & l’autre. Je me contenterai de vous parler de la situation de mon ame : il est juste de vous rendre compte de l’usage qu’on fait de votre bien.

J’étois parti, triste de mes peines, & consolé de votre joie ; ce qui me tenoit dans un certain état de langueur, qui n’est pas sans charme pour un cœur sensible. Je gravissois lentement & à pied des sentiers assez rudes, conduit par un homme que j’avois pris pour être mon guide, & dans lequel, durant toute la route, j’ai trouvé plutôt un ami qu’un mercenaire. Je voulois rêver, & j’en étois toujours détourné par quelque spectacle inattendu. Tantôt d’immenses roches pendoient en ruines au-dessus de ma tête. Tantôt de hautes