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LETTRE XIX.


À Julie.

Rien ne m’arrête plus ici que vos ordres ; cinq jours que j’y ai passés ont suffi & au delà pour mes affaires ; si toute faison peut appeler des affaires celles où le cœur n’a point de part. Enfin vous n’avez plus de prétexte, & ne pouvez me retenir loin de vous qu’a fin de me tourmenter.

Je commence à être fort inquiet du sort de ma premiere lettre ; elle fut écrite & mise à la poste en arrivant ; l’adresse en est fidelement copiée sur celle que vous m’envoyâtes ; je vous ai envoyé la mienne avec le même soin, & si vous aviez fait exactement réponse, elle auroit déjà dû me parvenir. Cette réponse pourtant ne vient point, & il n’y a nulle cause possible & funeste de son retard que mon esprit troublé ne se figure. Ô ma Julie ! que d’imprévues catastrophes peuvent en huit jours rompre à jamais les plus doux liens du monde ! Je frémis de songer qu’il n’y a pour moi qu’un seul moyen d’être heureux, & des millions d’être misérable [1]. Julie ! m’auriez-vous oublié ? Ah ! c’est la plus affreuse de mes craintes ! Je puis préparer ma constance aux autres malheurs,

  1. On me dira que c’est le devoir d’un Editeur de corriger les fautes de langue. Oui bien pour les Editeurs qui font cas de cette correction ; oui bien pour les livres dont on peut corriger le style sans le resondre & le gater ; oui bien quand on est assez sur de sa plume pour ne pas substituer ses propres fautes à celles de l’Auteur. Et avec tout cela : qu’aura-t-on gagné à faire parler un Suisse comme un Académicien ?