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mere, & préparez-vous, au retour de mon pere, qui se retire enfin tout à fait après trente ans de service, à supporter les hauteurs d’un vieux gentilhomme brusque, mais plein d’honneur, qui vous aimera sans vous caresser & vous estimera sans le dire.

J’ai interrompu ma lettre pour m’aller promener dans des bocages qui sont près de notre maison. Ô mon doux ami ! je t’y conduisois avec moi, ou plutôt je t’y portois dans mon sein. Je choisissois les lieux que nous devions parcourir ensemble ; j’y marquois des asiles dignes de nous retenir ; nos cœurs s’épanchoient d’avance dans ces retraites délicieuses ; elles ajoutoient au plaisir que nous goûtions d’être ensemble ; elles recevoient à leur tour un nouveaux prix du séjour de deux vrais amans, & je m’étonnois de n’y avoir point remarqué seule les beautés que j’y trouvois avec toi.

Parmi les bosquets naturels que forme ce lieu charmant, il en est un plus charmant que les autres, dans lequel je me plais davantage, & où, par cette raison, je destine une petite surprise à mon ami. Il ne sera pas dit qu’il aura toujours de la déférence & moi jamais de générosité : c’est là que je veux lui faire sentir, malgré les préjugés vulgaires, combien ce que le cœur donne vaut mieux que ce qu’arrache l’importunité. Au reste, de peur que votre imagination vive ne se mette un peu trop en frais, je dois vous prévenir que nous n’irons point ensemble dans le bosquet sans l’inséparable cousine.

À propos d’elle, il est décidé, si cela ne vous fâche pas trop, que vous viendrez nous voir lundi. Ma mere enverra