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& me survivra, je l’espère : il vit, & grace à lui, tous mes attachemens ne sont pas rompus sur la terre, il y reste encore un homme digne de mon amitié ; car son vrai prix est encore plus dans celle qu’on sent que dans celle qu’on inspire ; : mais j’ai perdu les douceurs que la sienne me prodiguoit, & je ne peux plus le mettre qu’au rang de ceux que j’aime encore, mais avec qui je n’ai plus de liaison. Il alloit en Angleterre recevoir sa grace du roi, & racheter ses biens jadis confisqués. Nous ne nous séparâmes point sans des projets de réunion, qui paroissoient presque aussi doux pour lui que pour moi. Il vouloit se fixer à son château de Keith-Hall près d’Aberdeen, & je devois m’y rendre auprès de lui ; mais ce projet me flattoit trop pour que j’en pusse espérer le succès. Il ne resta point en Ecosse. Les tendres sollicitations du roi de Prusse le rappelèrent à Berlin, & l’on verra bientôt comment je fus empêché de l’y aller joindre.

Avant son départ, prévoyant l’orage que l’on commençoit à susciter contre moi, il m’envoya de son propre mouvement des lettres de naturalité, qui sembloient être une précaution très-sûre pour qu’on ne pût pas me chasser du pays. La communauté de Couvet dans le Val-de-Travers, imita l’exemple du gouverneur, & me donna des lettres de Communier gratuites, comme les premières. Ainsi, devenu de tout point citoyen du pays, j’étois à l’abri de toute expulsion légale, même de la part du prince : mais ce n’a jamais été par des voies légitimes qu’on a pu persécuter celui de tous les hommes qui a toujours le plus respecté les lois. Je ne crois pas devoir compter au nombre des pertes que je fis