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aussi savans que moi sur tous les détails de ma situation.

J’eus, par exemple, de cette façon M. de Feins, écuyer de la reine & capitaine de cavalerie dans le régiment de la reine, lequel eut la constance de passer plusieurs jours à Motiers, & même de me suivre pédestrement jusqu’à la Ferrière, menant son cheval par la bride, sans avoir avec moi d’autre point de réunion, sinon que nous connaissions tous deux Mlle. Fel, & que nous jouions l’un, & l’autre au bilboquet.

J’eus, avant, & après M. de Feins, une autre visite bien plus extraordinaire. Deux hommes arrivent à pied, conduisant chacun un mulet chargé de son petit bagage, logent à l’auberge, pansent leurs mulets eux-mêmes, & demandent à me venir voir. À l’équipage de ces muletiers on les prit pour des contrebandiers ; & la nouvelle courut aussitôt que des contrebandiers venoient me rendre visite. Leur seule façon de m’aborder m’apprit que c’étoient des gens d’une autre étoffe ; mais sans être des contrebandiers ce pouvoit être des aventuriers, & ce doute me tint quelque tems en garde. Ils ne tardèrent pas à me tranquilliser. L’un étoit M. de Montauban, appelé le comte de la Tour-du-Pin, gentilhomme du Dauphiné ; l’autre étoit M. Dastier, de Carpentras, ancien militaire, qui avoit mis sa croix de St. Louis dans sa poche, ne pouvant pas l’étaler. Ces Messieurs, tous deux très aimables, avoient tous deux beaucoup d’esprit ; leur conversation étoit agréable, & intéressante ; leur manière de voyager, si bien dans mon goût, & si peu dans celui des