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si j’évitai d’abord la persécution dans mon asyle, je n’évitai pas du moins les murmures du public, des magistrats municipaux, des ministres. Après le branle donné par la France, il n’étoit pas du bon air de ne pas me faire au moins quelque insulte : on auroit eu peur de paroître improuver mes persécuteurs, en ne les imitant pas. La classe de Neuchâtel, c’est-à-dire la compagnie des ministres de cette ville, donna le branle, en tentant d’émouvoir contre moi le conseil d’état. Cette tentative n’ayant pas réussi, les ministres s’adressèrent au magistrat municipal, qui fit aussitôt défendre mon livre, & me traitant en toute occasion peu honnêtement, faisoit comprendre, & disoit même que si j’avois voulu m’établir en ville, on ne m’y auroit pas souffert. Ils remplirent leur Mercure d’inepties, & du plus plat cafardage, qui, tout en faisant rire les gens sensés, ne laissoit pas d’échauffer le peuple, & de l’animer contre moi. Tout cela n’empêchoit pas qu’à les entendre je ne dusse être très reconnaissant de l’extrême grace qu’ils me faisoient de me laisser vivre à Motiers, où ils n’avoient aucune autorité ; ils m’auroient volontiers mesuré l’air à la pinte, à condition que je l’eusse payé bien cher. Ils vouloient que je leur fusse obligé de la protection que le Roi m’accordoit malgré eux, & qu’ils travailloient sans relâche à m’ôter. Enfin, n’y pouvant réussir, après m’avoir fait tout le tort qu’ils purent, & m’avoir décrié de tout leur pouvoir, ils se firent un mérite de leur impuissance, en me faisant valoir la bonté qu’ils avoient de me souffrir dans leur pays. J’aurois dû leur rire au nez pour toute réponse, je fus assez bête pour me