Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/425

Cette page n’a pas encore été corrigée

hospitalité très-noble, mais trop bien pour me faire oublier que je ne suis pas chez moi. Ayant pris ce parti, l’état où je suis ne me laisse plus penser à une autre habitation ; l’honnêteté même ne me permettroit pas de quitter si promptement celle - ci après avoir consenti qu’on l’arrangeât pour moi. Ma situation, la nécessité, mon goût, tout me porte à borner mes désirs & mes soins à finir dans cette solitude des jours, dont grâce au ciel, & quoique vous en puissiez dire, je ne crois pas le terme bien éloigné. Accablé de maux de la vie & de l’injustice des hommes, j’approche avec joie d’un séjour où tout cela ne pénètre point, & en attendant je ne veux plus m’occuper, si je puis, qu’à me rapprocher de moi-même, & à goûter ici entre la compagne de mes infortunes, & mon cœur, & Dieu qui le voit, quelques heures de douceur & de paix en attendant la dernière. Ainsi, mon bon ami, parlez-moi de votre amitié pour moi, elle me sera toujours chère ; mais ne me parlez plus de projets. Il n’en est plus pour moi d’autre en ce monde, que celui d’en sortir avec la même innocence que j’y ai vécu.

J’ai vu, mon ami, dans quelques - unes de vos lettres notamment dans la dernière, que le torrent de la mode vous gagne, & que vous commencez à vaciller dans des sentimens où je vous croyois inébranlable. Ah ! cher ami comment avez-vous fait ? Vous en qui j’ai toujours cru voir un cœur si sain, une ame si forte ; cessez-vous donc d’être content de vous - même, & le témoin secret de vos sentimens commenceroit-il à vous devenir importun ? Je sais que la foi n’est pas indispensable, que l’incrédulité sincère n’est