Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/402

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cruel ami, que de regrets vous me préparez dans votre description de Lavagnac ! Hélas ce beau séjour étoit l’asile qu’il me falloit ; j’y aurois oublié, dans un doux repos, les ennuis de ma vie ; je pouvois espérer d’y trouver enfin de paisibles jours, & d’y attendre sans impatience, la mort qu’ailleurs je désirerai sans cesse. Il est trop tard. La fatale destinée qui m’entraîne, ordonne autrement de mon sort. Si j’en avois été le maître, si le Prince lui - même eût été le maître chez lui, je ne serois jamais sorti de Trie, dont il n’avoit rien épargné pour me rendre le séjour agréable. Jamais Prince n’en a tant fait pour aucun particulier qu’il en a daigné faire pour moi : Je le mets ici à ma place, disoit-il à son officier ; je veux qu’il ait la même autorité que moi, & je n’entends pas qu’on lui offre rien, parce que je le fais le maître de tout. Il a même daigné me venir voir plusieurs fois, souper avec moi tête-à-tête, me dire en présence de toute sa suite, qu’il venoit exprès pour cela, &, ce qui m’a plus touché que tout le reste, s’abstenir même de chasser, de peur que le motif de son voyage ne fût équivoque. Hé bien, cher Moultou, malgré ses soins, ses ordres les plus absolus, malgré le désir, la passion j’ose dire, qu’il avoit de me rendre heureux dans la retraite qu’il m’avoit donnée, on est parvenu à m’en chasser, & cela par des moyens tels que l’horrible récit n’en sortira jamais de ma bouche ni de ma plume. Son Altesse a tout su, & n’a pu désapprouver ma retraite ; les bontés, la protection, l’amitié de ce grand homme m’ont suivi dans cette province, & n’ont pu me garantir des indignités que j’y ai souffertes.