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LETTRE À Mr. R.....

Montmorenci le 24 Octobre 1761.

Votre lettre, Monsieur, du 30 Septembre ayant passé par Genève, c’est - à - dire, ayant traversé deux fois la France, ne m’est parvenue qu’avant hier. J’y ai vu avec une douleur mêlée d’indignation ; les traitemens affreux que souffrent nos malheureux frères dans le pays où vous êtes, & qui m’étonnent d’autant plus que l’intérêt du gouvernement seroit, ce me semble, de les laisser en repos, du moins quant à présent. Je comprends bien que les furieux qui les oppriment, consultent bien plus leur humeur sanguinaire que l’intérêt du gouvernement ; mais j’ai pourtant quelque peine à croire qu’ils se portassent à ce point de cruauté, si la conduite de nos frères n’y donnoit pas quelque prétexte. Je sens combien il est dur de se voir sans cesse à la merci d’un peuple cruel ; sans appui, sans ressource, & sans avoir même la consolation d’entendre en paix la parole de Dieu. Mais cependant, Monsieur, cette même parole de Dieu est formelle sur le devoir d’obéir aux lois des princes. La défense de s’assembler est incontestablement dans leurs droits ; & après tout, ces assemblées n’étant pas de l’essence du Christianisme, on peut s’en abstenir sans renoncer à sa soi. L’entreprise d’enlever un homme des mains de la justice ou de ses ministres,