Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

passablement fripon, que j’appris le lendemain être débauché, joueur, & en fort mauvais prédicament dans le quartier ; il n’avoit ni femme, ni enfans, ni domestiques, & tristement reclus dans ma chambre solitaire, j’étois dans le plus riant pays du monde, logé de manière à périr de mélancolie en peu de jours. Ce qui m’affecta le plus, malgré tout ce qu’on m’avoit dit de l’empressement des habitans à me recevoir, fut de n’appercevoir en passant dans les rues rien d’honnête envers moi dans leurs manières, ni d’obligeant dans leurs regards. J’étois pourtant tout déterminé à rester là, quand j’appris, vis, & sentis même dès le jour suivant, qu’il y avoit dans la ville une fermentation terrible à mon égard ; plusieurs empressés vinrent obligeamment m’avertir qu’on devoit dès le lendemain me signifier le plus durement qu’on pourroit, un ordre de sortir sur le champ de l’état, c’est-à-dire de la ville. Je n’avois personne à qui me confier ; tous ceux qui m’avoient retenu s’étoient éparpillés. Wildremet avoit disparu, je n’entendis plus parler de Barthès, & il ne parut pas que sa recommandation m’eût mis en grande faveur auprès des patrons & des pères qu’il s’étoit donnés devant moi. Un M. de Vau-Travers, Bernois, qui avoit une jolie maison proche la ville, m’y offrit cependant un asyle, espérant, me dit-il, que j’y pourrois éviter d’être lapidé. L’avantage ne me parut pas assez flatteur pour me tenter de prolonger mon séjour chez ce peuple hospitalier.

Cependant ayant perdu trois jours à ce retard, j’avois déjà passé de beaucoup les vingt-quatre heures que les Bernois m’avoient données pour sortir de tous leurs états, &