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immédiat de la république, dans l’espace de vingt-quatre heures, & de n’y rentrer jamais sous les plus grièves peines.

Ce moment fut affreux. Je me suis trouvé depuis dans de pires angoisses, jamais dans un plus grand embarras. Mais ce qui m’affligea le plus fut d’être forcé de renoncer au projet qui m’avoit fait désirer de passer l’hiver dans l’isle. Il est temps de rapporter l’anecdote fatale qui a mis le comble à mes désastres, & qui a entraîné dans ma ruine un peuple infortuné, dont les naissantes vertus promettoient déjà d’égaler un jour celles de Sparte & de Rome. J’avois parlé des Corses dans le Contrat social comme d’un peuple neuf, le seul de l’Europe qui ne fût pas usé pour la législation, & j’avois marqué la grande espérance qu’on devoit avoir d’un tel peuple, s’il avoit le bonheur de trouver un sage instituteur. Mon ouvrage fut lu par quelques Corses qui furent sensibles à la manière honorable dont je parlois d’eux, & le cas où ils se trouvoient de travailler à l’établissement de leur république, fit penser à leurs chefs de me demander mes idées sur cet important ouvrage. Un M. Buttafuoco, d’une des premières familles du pays, & capitaine en France dans Royal-Italien, m’écrivit à ce sujet & me fournit plusieurs pièces que je lui avois demandées pour me mettre au fait de l’histoire de la nation & de l’état du pays. M. Paoli m’écrivit aussi plusieurs fois, & quoique je sentisse une pareille entreprise au-dessus de mes forces, je crus ne pouvoir les refuser pour concourir à une si grande & belle œuvre, lorsque j’aurois pris toutes les instructions dont j’avois besoin pour cela. Ce fut dans ce