Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée

que l’autorité des lois, de la justice & de la raison à opposer à celle de l’argent & du vin, la partie n’étoit pas égale, & dans ce point, Montmollin triompha de lui. Cependant sensible à ses soins & à son zèle, j’aurois voulu pouvoir lui rendre bon office pour bon office, & pouvoir m’acquitter avec lui de quelque façon. Je savois qu’il convoitoit fort une place de conseiller d’état ; mais s’étant mal conduit au gré de la Cour dans l’affaire du ministre Petitpierre, il étoit en disgrâce auprès du prince & du gouverneur. Je risquai pourtant d’écrire en sa faveur à milord Maréchal : j’osai même parler de l’emploi qu’il désiroit, & si heureusement, que contre l’attente de tout le monde, il lui fut presque aussitôt conféré par le roi. C’est ainsi que le sort qui m’a toujours mis en même temps trop haut & trop bas, continuoit à me balotter d’une extrémité à l’autre, & tandis que la populace me couvroit de fange, je faisois un conseiller d’état.

Mon autre grand plaisir fut une visite que vint me faire Mde. de V

[erdeli] n avec sa fille, qu’elle avoit menée aux bains de Bourbonne, d’où elle poussa jusqu’à Motiers, & logea chez moi deux ou trois jours. À force d’attention & de soins elle avoit enfin surmonté ma longue répugnance, & mon cœur, vaincu par ses caresses, lui rendoit toute l’amitié qu’elle m’avoit si long-temps témoignée. Je fus touché de ce voyage, sur-tout dans la circonstance où je me trouvois, & où j’avois grand besoin pour soutenir mon courage des consolations de l’amitié. Je craignois qu’elle ne s’affectât des insultes que je recevois de la populace, & j’aurois voulu lui en dérober le spectacle pour ne pas contrister son cœur ;