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respiroient l’amour & la mollesse, pouvoit-on rien imaginer de plus inattendu, de plus choquant que de me voir tout d’un-coup m’inscrire de ma propre main parmi les auteurs de ces livres, que j’avois si durement censurés ? Je sentois cette inconséquence dans toute sa force, je me la reprochois, j’en rougissois, je m’en dépitois : mais tout cela ne put suffire pour me ramener à la raison. Subjugué complètement, il fallut me soumettre à tout risque, & me résoudre à braver le qu’en dira-t-on ; sauf à délibérer dans la suite si je me résoudrois à montrer mon ouvrage ou non : car je ne supposois pas encore que j’en vinsse à le publier.

Ce parti pris, je me jette à plein collier dans mes rêveries, & à force de les tourner & retourner dans ma tête, j’en forme enfin l’espèce de plan dont on a vu l’exécution. C’étoit assurément le meilleur parti qui se pût tirer de mes folies : l’amour du bien, qui n’est jamais sorti de mon cœur, les tourna vers des objets utiles, & dont la morale eût pu faire son profit. Mes tableaux voluptueux auroient perdu toutes leurs grâces, si le doux coloris de l’innocence y eût manqué.

Une fille foible est un objet de pitié, que l’amour peut rendre intéressant & qui souvent n’est pas moins aimable : mais qui peut supporter sans indignation le spectacle des mœurs à la mode, & qu’y a-t-il de plus révoltant que l’orgueil d’une femme infidèlle, qui foulant ouvertement aux pieds tous ses devoirs, prétend que son mari soit pénétré de reconnoissance de la grace qu’elle lui accorde de vouloir bien ne pas se laisser prendre sur le fait ? Les êtres parfaits