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aimable & jeune, lui donnant au surplus les vertus & les défauts que je me sentois.

Pour placer mes personnages dans un séjour qui leur convînt, je passai successivement en revue les plus beaux lieux que j’eusse vus dans mes voyages. Mais je ne trouvai point de bocage assez frais, point de paysage assez touchant à mon gré. Les vallées de la Thessalie m’auroient pu contenter si je les avois vues ; mais mon imagination fatiguée à inventer, vouloit quelque lieu réel qui pût lui servir de point d’appui, & me faire illusion sur la réalité des habitans que j’y voulois mettre. Je songeai long-temps aux îles Borromées, dont l’aspect délicieux m’avoit transporté, mais j’y trouvai trop d’ornement & d’art pour mes personnages. Il me falloit cependant un lac, & je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n’a jamais cessé d’errer. Je me fixai sur la partie des bords de ce lac à laquelle depuis long-temps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m’a borné. Le lieu natal de ma pauvre maman avoit encore pour moi un attroit de prédilection. Le contraste des positions, la richesse & la variété des sites, la magnificence, la majesté de l’ensemble qui ravit les sens, émeut le cœur, élève l’âme, achevèrent de me déterminer, & j’établis à Vevay mes jeunes pupilles. Voilà tout ce que j’imaginai du premier bond ; le reste n’y fut ajouté que dans la suite.

Je me bornai long-temps à un plan si vague, parce qu’il suffisoit pour remplir mon imagination d’objets agréables, & mon cœur de sentimens dont il aime à se nourrir. Ces fictions, à force de revenir, prirent enfin plus de consistance,