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patrie, où je n’avois pas trouvé, dans le voyage que je venois d’y faire, les notions des lois & de la liberté assez justes ni assez nettes, à mon gré ; & j’avois cru cette manière indirecte de les leur donner la plus propre à ménager l’amour-propre de ses membres, & à me faire pardonner d’avoir pu voir là-dessus un peu plus loin qu’eux.

Quoiqu’il y eût déjà cinq ou six ans que je travaillois à cet ouvrage, il n’étoit encore guère avancé. Les livres de cette espèce demandent de la méditation, du loisir, de la tranquillité. De plus, je faisois celui-là, comme on dit, en bonne fortune & je n’avois voulu communiquer mon projet à personne, pas même à Diderot. Je craignois qu’il ne parût trop hardi pour le siècle & le pays où j’écrivois & que l’effroi de mes amis*

[*C’étoit sur-tout la sage sévérité de Duclos qui m’inspiroit cette crainte : car pour Diderot, je ne fois comment toutes mes conférences avec lui tendoient toujours à me rendre satyrique & mordant plus que mon naturel ne me portoit à l’être. Ce fut cela même qui me détourna de le consulter sur une enterprise où je voulois mettre uniquement toute la force du raisonnement., sans aucun vestige d’humeur & de partialité. On peut juger du ton que j’avois pris dans cet ouvrage, par celui du Contrat Social qui en est tiré.] ne me gênât dans l’exécution. J’ignorois encore s’il seroit fait à temps & de manière à pouvoir paroître de mon vivant. Je voulois pouvoir, sans contrainte, donner à mon sujet tout ce qu’il me demandoit ; bien sûr que, n’ayant point l’humeur satirique & ne voulant jamais chercher d’application, je serois toujours irrépréhensible en toute équité. Je voulois user pleinement, sans doute, du droit de penser que j’avois par ma naissance ; mais toujours en respectant le gouvernement sous lequel j’avois à