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travailler à m’avilir, pour parvenir dans la suite à me diffamer. Ce fut moins ma célébrité littéraire que ma réforme personnelle, dont je marque ici l’époque, qui m’attira leur jalousie : ils m’auroient pardonné peut-être de briller dans l’art d’écrire ; mais ils ne purent me pardonner de donner dans ma conduite un exemple qui sembloit les importuner. J’étois né pour l’amitié ; mon humeur facile & douce la nourrissoit sans peine. Tant que je vécus ignoré du public, je fus aimé de tous ceux qui me connurent & je n’eus pas un seul ennemi. Mais sitôt que j’eus un nom, je n’eus plus d’amis. Ce fut un très grand malheur ; un plus grand encore fut d’être environné de gens qui prenoient ce nom & qui n’usèrent des droits qu’il leur donnoit que pour m’entraîner à ma perte. La suite de ces mémoires développera cette odieuse trame ; je n’en montre ici que l’origine : on en verra bientôt former le premier nœud.

Dans l’indépendance où je voulois vivre, il falloit cependant subsister. J’en imaginai un moyen très-simple ; ce fut de copier de la musique à tant la page. Si quelque occupation plus solide eût rempli le même but, je l’aurois prise ; mais ce talent étant de mon goût & le seul qui, sans assujettissement personnel, pût me donner du pain au jour le jour, je m’y tins. Croyant n’avoir plus besoin de prévoyance & faisant taire la vanité, de caissier d’un financier je me fis copiste de musique. Je crus avoir gagné beaucoup à ce choix ; & je m’en suis si peu repenti, que je n’ai quitté ce métier que par force, pour le reprendre aussitôt que je pourrai.

Le succès de mon premier discours me rendit l’exécution