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qui ne vivent que de brigandage ? D’un autre côté, comment ose-t-on imputer à une nation d’être parvenue à tourner la vertu en ridicule & à la mépriser, tandis que sa religion, son gouvernement, ses loix, ses établissemens, ses usages, le cri public, enfin, tout dépose, tout veille en faveur de la vertu ? Combien comptera-t-on d’hommes parmi nous coupables d’un si criminel excès ? est-il permis au zele même d’exagérer avec si peu de vraisemblance !

Enfin, ou il faut soutenir que la vertu est précisément dans l’instinct, qu’elle est fondée sur l’erreur & les préjugés, qu’elle doit marcher en aveugle & au hasard ; ou il faut avouer que tout ce qui étend l’esprit & éclaire la raison, que les sciences en un mot sont ses guides, ses soutiens, ses flambeaux : nos sentimens sont conduits par nos idées ; si nous voyons mal, si nous ne voyons pas tout, des notions fausses produiront à la fois des préjugés & des passions : il n’y a qu’une vérité unique dans les idées elle est la science, dans les mœurs c’est la vertus ; la plus haute science mise en action, seroit la vertu la plus parfaite.

Que l’on objecte les vices de quelques savants, qu’est-ce que cela fait à la question ? prouvera-t-on jamais que les sciences en soient la cause ou l’effet ? Le plus grand nombre des gens de Lettres a toujours été respectable par ses mœurs, même parmi ceux qui habitent les Cours : malheureusement tous les mauvais procédés qu’ils peuvent avoir sont publics, au lieu que les noirceurs des autres classes demeurent ensevelies dans l’obscurité.*

[* Je suis sûr, dit M. Rousseau, qu’il n’y a pas actuellement un savant qui n’estime beaucoup plus l’éloquence de Cicéron que son zele, & qui n’ai mât infiniment mieux avoir composé les Catilinaires que d’avoir sauvé son pays.

C’est assurément un très-bon usage pour n’être pas contredit dans une dispute, que celui de donner ses persuasions pour des preuves : quand je citerois tous nos savants illustres, quand j’en appellerois à leurs ouvrages & à leurs mœurs, quand même ils certifieroient de leur propre main le contraire de ce qu’on leur impute, on seroit toujours en droit de me dire qu’on est sûr : la question est terminée par ce seul mot. ] Au reste, que des connoissances imparfaites