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Je ne conçois pas, Monsieur, comment quelqu’un qui annonce autant d’esprit, de jugement, de sagacité que M. Olivier de Corancez, & qui a vécu pendant douze ans familièrement avec Jean-Jaques, peut dire : J’ose affirmer qu’il ignoroit sa force, & qu’il ne se voyoit qu’à travers le voile de la modestie. Je n’ai pas eu l’inestimable avantage de vivre familiérement avec Jean-Jaques ; mais j’ai étudié son caractere dans ses ouvrages, où il se peint si bien ; & dans tout ce que j’ai pu recueillir de ses discours & de ses actions, j’ose affirmer que je l’ai bien saisi, ce caractere unique, & que je chéris plus que personne, la mémoire de celui qu’il immortalise bien plus surement encore, que les talens qu’il réunissoit : car la manière d’être de Jean-Jaques passera à la postérité avec ses écrits, puisqu’ils la contiennent. Eh bien ! Monsieur, je suis forcée de l’avouer, si cela étoit en mon pouvoir, je retrancherois de la touchante énumération que M. Olivier de Corancez nous fait des vertus pratiques de son ami, le mot de modestie ; & je lui substituerois celui de modération, vertu que l’extrême sensibilité de Rousseau rendoit en lui si admirable, & que M. Olivier de Corancez se contente d’indiquer. Jean-Jaques n’étoit point modeste, il étoit bien mieux que cela, il étoit vrai. Les gens d’esprit, disoit-il, se mettent toujours à leur place, la modestie chef eux est toujours fausseté. Que l’on pese cette phrase dans le silence de l’amour-propre, & on conviendra que ce qu’on appelle modestie, n’est une vertu dans un homme supérieur, qu’aux yeux de ses concurrens offusqués de sa gloire. Trop sincere pour être modeste, trop grand pour être vain, celui que nous regrettons s’apprécioit, comme l’auroit apprécié