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& non à raison du très-grand prix qu’y attachoit l’opinion publique, suppléant pour le surplus à ses besoins de nécessité premiere, par un travail aussi ingrat que pénible.

Dans le sentiment qu’il ne pouvoit manquer d’avoir de sa propre valeur ( car les hommes supérieurs ont le secret de leur grandeur, & personne n’a ce secret comme eux), il ne voulut jamais faire dépendre arbitrairement son sort de qui que ce fût, pas même des services le plus purement rendus. Peut-être en cela alla-t-il trop loin : mais les grandes vertus sont outrées ; elles ont même besoin en quelque sorte de cet excès, pour ne pas descendre. Pour tout dire, Rousseau dans le siecle & le lieu le plus corrompu, fit voir un philosophe réel & de fait, ayant les mœurs austeres de l’antiquité, sans faste dans sa vertu, sans prétention personnelle, aimant la gloire pour son nom, & chérissant l’obscurité pour sa personne, ce qui est le vrai caractere du grand homme & du sage.

Je sais que depuis sa mort, dans la société & sur-tout dans le monde littéraire, plusieurs voix se sont élevées, dont les unes ont désapprécié ses écrits, & d’autres ont chargé sa mémoire de divers reproches capables d’affoiblir l’idée de ses vertus. On l’a accusé non-seulement d’un orgueil déraisonnable, mais encore de fausseté, & qui plus est de noirceur. On a cité de lui divers traits qui ne s’accordent nullement avec cette droiture d’ame que je viens de vanter ; enfin, on l’a inculpé d’avoir attaqué dans un ouvrage posthume, ses bienfaiteurs & ses amis, la laissant pour tout héritage cette terrible production de son esprit, si peu honorable pour son cœur.

C’est cette production même dont je parlerai bientôt, que