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Ce qu’on ne sauroit assez admirer dans cet homme rare. & dont la seule idée arrache des larmes, c’est la parfaite rectitude d’ame qui a régné en général dans toute la conduite de sa vie. Ce n’est point par le langage ; ce n’eût pas par les écrits qu’il faut juger les hommes. C’est leur faire, pour ainsi parler, & non leur dire ; c’est en un mot, toute la vie qui est la pierre de touche du cœur humain. Or, Rousseau a été si semblable à lui-même dans ce qu’il a écrit & pensé, dit & fait, qu’une vie d’homme & une telle carriere d’Auteur comparées l’une à l’autre, sont un vrai prodige.

Il étoit si invariablement fixé aux grandes loix de la nature, qu’il ne s’en détourna dans la pratique, ni par l’attrait des sens, ni par l’ascendant presqu’invincible de l’usage. Animé de cet orgueil qui sied à un être intelligent, il méprisa les richesses & craignit également la dépendance, même celle que l’on contracte par les services reçus. Il considéra toujours que dans l’ordre civil, tout homme avoir une tâche à remplir. Rapportant tout à cette idée, vraie fin de la création, & mesurant les besoins humains, non sur ceux de l’opinion, mais sur ceux de la nature, il posa pour loi,que tout homme bien constitué, & par devoir & par grandeur, ne devoit dépendre que de soi & de son travail, en conséquence ne tenir sa subsistance que de lui seul.

D’après cette regle, il estima mieux un métier qu’un talent, & l’un & l’autre, que tous les dons purement agréables. Fidele à ses principes, il vécut laborieusement, soit des productions son esprit, soit d’un travail manuel, ne mettant aux premieres ( chose rare) de valeur qu’à raison du prix de son tems,