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amitié. En se conduisant ainsi, Wolmar risquoit à peine quelque chose avec un homme de l’honneur de Saint-Preux ; mais certainement il ne risquoit rien avec une femme de la vertu de Julie, & il risquoit bien moins encore après une démarche d’une rare confiance.

Rien n’est donc plus sensé, rien même n’est plus noble que cette conduite : elle est de la plus parfaite expérience des hommes, & de toute la hauteur de l’humanité dans sa plus grande élévation. En même tems plus cet acte est grand, plus aussi il produit sûrement son effet. Wolmar, par ce trait d’une pleine confiance, garantit non-seulement, comme j’ai dit, invariablement la foi de Julie. Il fait plus, il se l’attache par cette preuve signalée d’estime, ce qui étoit pour elle bien plus que de l’amour dans sa position : il fait plus que tout cela encore, il unit à lui, par la seule voie praticable, deux êtres que rien à l’avenir ne pouvoir plus désunir entr’eux. Il procure son bonheur par le leur, en convertissant, à l’aide du respect qu’imprime une sainte hospitalité si généreusement exercée, leur passion mutuelle, certainement toujours vivante dans leurs ames, en une douce amitié de la part de Julie, & de celle de Saint-Preux en une tendre & profonde vénération pour Julie. En un mot,Wolmar par cette conduite, plutôt extraordinaire que bisarre, marche vers son but par la voie la plus conforme à la raison. Sans parler de l’acte d’une humanité indulgente qu’il exerce dans cette occasion, (acte peut-être plus doux qu’on ne croit à remplir pour qui avoit devant les yeux tout le prix que valoit Julie ) ;ce pas une fois fait, Wolmar, sans nul doute, contient bien mieux par-là deux êtres qui ne seront