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Dans cette singuliere discussion, Rousseau prouva, autant qu’il étoit possible, le paradoxe. Malgré cela, il faut convenir qu’il n’établit, par aucune preuve solide, ce prétendu point de vérité. La maniere dont il vit l’objet, ce qui décidoit absolument dans cette matiere du jugement à porter, provint en partie du fond de son caractere, fortifié en outre par quelques circonstances de sa vie, où l’on prétend qu’il n’avoir pas eu à se louer des hommes, particuliérement de l’ordre de ceux qui cultivent les lettres, ce qui cependant, pour le dire en passant, devroit être la même chose que cultiver la vertu.

En considérant dans cette disposition d’ame la science avec ses abus, les connoissances avec leurs erreurs, il ne sépara pas assez, dans son opinion, de la chose même ce que les passions y mêlent malheureusement, & il imputa ainsi à l’une ce qui est particuliérement du fait des autres ; en un mot, il fit porter tout son raisonnement sur cette fausse base, ne réfléchissant pas encore d’autre part que la barbarie ne sauroit être un état pour l’homme ; que comme être perfectible, il en sort invinciblement par le seul exercice de ses facultés ; & que si-tôt qu’il est contraint d’en sortir, il n’y a plus que la perfection humainement possible de ses lumieres qui puisse réprimer les moyens mêmes que ses connoissances mettent en ses mains pour servir ses passions. Cette culture, la plus parfaite de l’esprit humain, dirigée sur-tout vers une saine moral, étoit un troisieme terme que Jean-Jaques eût pu envisager entre la barbarie & la science défigurée par tant d’abus divers. Toutes choses égales, il eût assigné avec plus de raison, dans un pareil état, le véritable degré de prospérité de la terre :